Brasil ! à la Cinémathèque française : histoire, rétrospective ou panorama ?

By Vitor Zan

C’est avec grand enthousiasme que les membres brésiliens de Camira-France, dont moi-même, ont appris qu’une rétrospective du cinéma brésilien aurait lieu à la Cinémathèque française du 18 mars au 18 mai 2015. Le programme est composé d’une centaine de courts et longs métrages, dont six en avant-première, une table ronde, une conférence, et même (attention!) une grande feijoada au restaurant 400 coups.

L’occasion nous a incités à investir le blog de l’association, fraîchement créé, avec ce dossier, qui sera composé d’une quinzaine de textes courts publiés au fur et à mesure de la rétrospective. Destiné à présenter des films de l’histoire du cinéma brésilien que nous estimons, comme LimiteGanga BrutaIracema et Serras da desordem, il sera également tissé par la tentative de repérer la trajectoire de ces films en France : ont-ils circulé ? Ont-ils fait l’objet de publications ? Y a-t-il des copies disponibles ?

Le sujet de la place du cinéma brésilien et de sa bibliographie dans le contexte français étant bien trop vaste pour que nous l’attaquions de front, il sera plutôt question de l’entamer à partir de quelques cas précis.

Ce dossier correspond, ainsi que nous le souhaitons, à notre contribution fortuite avec la Cinémathèque française, qui est à l’initiative de la rétrospective, ainsi qu’avec le travail de Bernard Payen et de ses collaborateurs Tatiana Monassa, Gabriela Trujillo et Nicole Brenez. Il est opportun d’annoncer qu’aucun critère, mis à part nos connaissances préalables et notre envie d’écrire sur certains films, n’a guidé nos choix.

Pourquoi une rétrospective du cinéma brésilien à la Cinémathèque française ?

La question se pose d’autant plus si l’on tient compte du fait que cette rétrospective n’a pas été suggérée ni subventionnée par l’Institut français, et qu’actuellement le cinéma sud-américain n’est pas une priorité des cinéphiles français. L’on pourrait tout de même énumérer de multiples raisons justifiant ce choix, dont la présence du Brésil parmi les plus grands producteurs de films au monde, ou encore le fait que, depuis presque trois décennies, aucune institution française n’a consacré une programmation conséquente à cette cinématographie.

L’origine de cet événement est en fait bien plus simple, voire plus légitime, puisqu’elle repose sur une relation directe avec les films, et non sur une conception excessivement rationaliste de la programmation. C’est lorsque Bernard Payen était sélectionneur pour la Semaine de la critique qu’il a constaté qu’au long des années 2000, un grand nombre de courts métrages brésiliens réalisés par des cinéastes souvent peu expérimentés se démarquaient de ceux venant d’autres pays. C’est à partir de cette constatation qu’il a noué des liens plus étroits avec cette filmographie, ce qui lui a permis de suivre, dès son aurore, la constitution de nouvelles tendances esthétiques du cinéma brésilien récent. Cela aide à comprendre, au passage, la prépondérance du cinéma contemporain dans le panorama historique qui nous est actuellement proposé.

Ayant par la suite intégré l’équipe de programmation de la Cinémathèque française, Bernard Payen a créé La Collection brésilienne, destinée à présenter des séances monographiques de courts métrages de la dite nouvelle génération du cinéma brésilien. Grâce à cette collection, nous avons pu regarder en salle des courts métrages qui, même au Brésil, sont rarement diffusés dans de telles conditions, comme ceux de Ricardo Alves Júnior, Caetano Gotardo, Kleber Mendonça Filho, entre autres.

Alors que La Collection brésilienne s’attache au présent, la rétrospective Brasil ! accueille le passé, mais l’une comme l’autre sont tributaires de cette rencontre initiale qui a créé quelque chose entre le jeune sélectionneur de la Semaine de la critique et les films des jeunes réalisateurs brésiliens.

En quoi consiste la programmation ?

Le texte de la brochure suggère d’emblée qu’il sera surtout question du cinéma “d’auteur” brésilien. Ainsi, parmi les cinq films antérieurs aux années 1950, il y en a deux d’Humberto Mauro, “le premier auteur de cinéma au Brésil”. Si d’un côté, l’ensemble de la programmation ne contredit pas cette ligne directrice, d’un autre côté il ne l’assume pas complètement, car dans ce cas, il aurait sûrement été plus profitable d’aller au-delà des films phares des cinéastes les plus reconnus de l’histoire du cinéma brésilien, afin de mieux cerner les tournures de leur “calligraphie” cinématographique.

Contrairement au petit nombre de films de la première moitié du XXème siècle, ceux des années 2000 ne sont pas loin d’occuper la moitié du programme. La nouvelle génération de réalisateurs brésiliens est donc privilégiée, mais elle est embrassée par un regard demeurant ouvert sur l’histoire (particulièrement celle de la seconde moitié du siècle dernier), ce qui s’avère aussi rare que pertinent. En effet, le cinéma brésilien contemporain manque d’être mis en perspective, autant que l’histoire du cinéma brésilien clame d’être mise à jour à partir de ce nouveau contexte. En revanche, nous avons l’impression que la disposition des séances dans le calendrier aurait pu contribuer davantage avec l’établissement de rapports entre les films du passé et ceux du présent, à l’instar de la journée du 29 mars, où se trouvent rassemblés IracemaSerras da desordem et As Hipermulheres.

Alors que dans les années 1960 Paulo Emílio Salles Gomes félicitait Jean-Claude Bernardet qui, dans son premier livre, était parvenu à considérer le cinéma moderne brésilien comme un “ensemble organique”[1], Orlando Senna écrit en 2006 (à l’occasion de l’année du Brésil en France) que “La caractéristique du cinéma brésilien actuel, c’est la diversité”[2], ce qui pourrait faire obstacle à une perspective englobante[3], ou même solliciter une autre type d’approche. Ce nouveau cinéma requiert peut-être d’autres histoires, spécifiques, axées non plus sur les fameux cycles du cinéma brésilien, mais sur des singularités diverses : formelles, thématiques, budgétaires, liées aux dispositifs de productions, etc. Malgré ce que l’intitulé “une histoire du cinéma brésilien” peut faire penser, celui-là n’est pas le défi auquel la Cinémathèque fait face. L’approche adoptée est plus généraliste, cherchant à donner un aperçu global de l’histoire du cinéma brésilien, ce qui implique d’autres objectifs et d’autres exigences.

Si en tant qu’une histoire particulière cette programmation semblerait trop centrée sur les films “incontournables” du cinéma brésilien et en tant que rétrospective pas assez exhaustive, elle porte cependant toutes les qualités d’un panorama efficace : rendant une cinématographie peu connue en France accessible au public français, faisant preuve d’un grand pouvoir de synthèse pour présenter de manière pédagogique les principales balises de l’histoire du cinéma brésilien et étant de surcroît attentive à la production récente encore peu étudiée et surtout peu montrée en salle de cinéma. Ainsi, les considérations que nous faisons n’ont aucunement l’intention de pointer une incohérence du programme de la rétrospective[4], que nous serons ravis de suivre de près. Elles visent, au contraire, à réfléchir sur un événement qui nous est cher, et à encourager la Cinémathèque et son équipe à poursuivre ses incursions dans la cinématographie brésilienne.

Deux prédécesseurs

Puisque nous nous proposons de réfléchir sur le cinéma brésilien en France, il faudrait citer, pour conclure, deux moments précédents : d’abord la longue rétrospective du cinéma brésilien qui a eu lieu au Centre Georges Pompidou en 1987, ayant réunit environ 200 films datant de 1913 à 1986, et ayant donné lieu à l’ouvrage Le cinéma brésilien, dirigé par Paulo Paranaguá.

Presque vingt ans plus tard, il y a eu l’année du Brésil en France (2005), durant laquelle de nombreuses salles parisiennes telles que L’Arlequin, Le Latina et le Forum des Images se sont partagées la tâche de diffuser plus de 400 films brésiliens. Cet événement est particulièrement important à l’égard de ce qui se passe aujourd’hui à la Cinémathèque, car la plupart des bobines qui seront utilisées les deux mois prochains font partie de la collection offerte à la Cinémathèque française par l’ambassade du Brésil, suite à l’année du Brésil en France. C’est aussi grâce aux séances de 2005 que la revue Trafic a consacré une partie de son numéro 58 au cinéma brésilien, où se trouve un article d’Orlando Senna, à l’époque Secrétaire de l’audiovisuel.

Dans la mesure où la rétrospective à Beaubourg tout autant que l’année du Brésil en France ont suscité des publications, ça ne saurait être différent cette fois-ci. Nous voici présents afin de prolonger ce travail.

Bonnes séances à tous !

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[1] Voir la préface de Paulo Emílio Salles Gomes au livre Brasil em tempo de cinema.

[2] Orlando Senna. Cinéma Brésil 2006 : convergences, mutation, pluralité, et une nouvelle génération. In Trafic, n. 58, été 2006, p. 59.

[3] Même si nous savons qu’il n’y avait pas non plus d’unité à la période analysée par Bernardet.

[4] Ses organisateurs reconnaissent et revendiquent, à juste titre, son caractère panoramique.

This post was previously published on March 19, 2015 on http://www.camira.org


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